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contraire, il est 5 fois sur 8 supérieur à 3; en moyenne, il est de 2,88, c’est-à-dire 1,66 fois plus fort que dans la Seine.

Voilà une preuve de plus que le nombre élevé des suicides dans les pays où le divorce est répandu ne tient pas à quelque prédisposition organique, notamment à la fréquence des sujets déséquilibrés. Car si telle était la véritable cause, elle devrait faire sentir ses eiïets aussi bien sur les célibataires que sur les mariés. Or, en fait, ce sont ces derniers qui sont le plus atteints. C’est donc que Torigine du mal se trouve bien, comme nous l’avons supposé, dans quelque particularité soit du mariage, soit de la famille. Reste à choisir entre ces deux dernières hypothèses. Cette moindre immunité des époux est-elle due à l’état de la société domestique ou à l’état de la société matrimoniale? Est-ce l’esprit familial qui est moins bon ou le lien conjugal qui n’est pas tout ce qu’il doit être?

Un premier fait qui rend improbable la première explication, c’est que, chez les peuples où le divorce est le plus fréquent, la natalité est très bonne, par suite, la densité du groupe domestique très élevée. Or nous savons que là où la famille est dense, l’esprit de famille est généralement fort. Il y a donc tout lieu de croire que c*est dans la nature du mariage que se trouve la cause du phénomène.

Et en effet, si c’était à la constitution de la famille qu’il était imputable, les épouses, elles aussi, devraient être moins préservées du suicide dans les pays où le divorce est d’un usage courant que là où il est peu pratiqué; car elles sont aussi bien atteintes que l’époux par le mauvais état des relations domestiques. Or c’est exactement l’inverse qui a lieu. Le coefficient de préservation des femmes mariées s’élève à mesure que celui des époux s’abaisse, c’est-à-dire à mesure que les divorces sont plus fréquents, et inversement. Plus le lien conjugal se rompt souvent et facilement, plus la femme est favorisée par rapport au mari (V. Tableau XXVllI, p. 299).

L’inversion entre les deux séries de coefficients est remarquable. Dans les pays où le divorce n’existe pas, la femme est moins préservée que son mari; mais son infériorité est plus