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266 LE SUICIDE. qu’on y renonce plus volontiers? L’explication séduit par sa simplicité ; elle est d’ailleurs conforme à la conception courante du suicide. Mais elle est contredite par les faits. En effet, si les morts volontaires augmentaient parce que la vie devient plus rude, elles devraient diminuer sensiblement quand l’aisance devient plus grande. Or si, quand le prix des aliments de première nécessité s’élève avec excès, les suicides font généralement de même, on ne constate pas qu’ils s’abais- sent au-dessous de la moyenne dans le cas contraire. En Prusse, en 1850, le cours du blé descend au point le plus bas qu’il ait atteint pendant toute la période i848-8i ; il était à 6 marcs 91 les SO kilogrammes; cependant, à ce moment même, les sui- cides passent de 1.527, où ils étaient en 1849, à 1.736, soit une augmentation de 13 0/0, et ils continuent à s’accroître pendant les années 1851, 1852, 1853 quoique le bon marché persiste. En 1858-59, un nouvel avilissement se produit; néanmoins les suicides s’élèvent de 2.038 en 1857 à 2.126 en 1858, à 2.146 en 1859. De 1863 à 1866, les prix qui avaient atteint 11 marcs 04 en 1861 tombent progressivement jusqu’à 7 marcs 95 en 1864 et restent très modérés pendant toute la période; les sui- cides, pendant ce même temps, augmentent de 17 0/0 (2.112 en 1862, 2.485 en 1866) W, On observe en Bavière des faits analogues. D’après une courbe construite par Mayr W pour la j)ériode 1835-61, c’est pendant les années 1857-58 et 1858- 59 que le prix du seigle a été le plus bas ; or, les suicides qui, en 1857, n’étaient qu’au nombre de 286 montent à 329 en 1858, puis à 387 en 1859. Le même phénomène s’était déjà produit pendant les années 1848-50 : le blé, à ce moment, avait été très bon marché comme dans toute l’Europe. Et cepen- dant, malgré une diminution légère et provisoire, due aux év-é- nements politiques et dont nous avons parlé, les suicides se maintinrent au même niveau. On en comptait 217 en 1847, il y en avait encore 215 en 1848 et si, en 1849, ils descendirent un (1) V. Starck, Verbrechen und VergeJien in Preussen, Berlin, 1884, p. 55. (2) Die Gesetzmdssigkeit in Geselluchaffslehen, p. 345. k..