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nent ces phénomènes de contagion que l'on a souvent observés dans les armées et dont nous avons, plus haut, rapporté des exemples. Ils sont inexplicables si le suicide dépend essentiellement de causes individuelles. On ne peut admettre que le hasard ait justement réuni dans tel régiment, sur tel point du territoire, un aussi grand nombre d’individus prédisposés à l'homicide de soi-même par leur constitution organique. D’autre part, il est encore plus inadmissible qu’une telle propagation imitative puisse avoir lieu en dehors de toute prédisposition. Mais tout s’explique aisément quand on a reconnu que la carrière des armes développe une constitution morale qui incline puissamment l’homme à se défaire de l’existence. Car il est naturel que cette constitution se trouve, à des degrés divers, chez la plupart de ceux qui sont ou qui ont passé sous les drapeaux, et, comme elle est pour les suicides un terrain éminemment favorable, il faut peu de chose pour faire passer à l’acte le penchant à se tuer qu’elle recèle ; l’exemple suffit pour cela. C’est pourquoi il se répand comme une traînée de poudre chez des sujets ainsi préparés à le suivre.


III.


On peut mieux comprendre maintenant quel intérêt il y avait à donner une définition objective du suicide et à y rester fidèle.

Parce que le suicide altruiste, tout en présentant les traits caractéristiques du suicide, se rapproche, surtout dans ses manifestations les plus frappantes, de certaines catégories d’actes que nous sommes habitués à honorer de notre estime et même de notre admiration, on a souvent refusé de le considérer comme un homicide de soi-même. On se rappelle que, pour Esquirol et Falret, la mort de Caton et celle des Girondins n’étaient pas des suicides. Mais alors, si les suicides qui ont pour