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gues en Chine, en Cochinchine, au Thibet et dans le royaume de Siam.

Dans tous ces cas, l’homme se tue sans être expressément tenu de se tuer. Cependant, ces suicides ne sont pas d’une autre nature que le suicide obligatoire. Si l'opinion ne les impose pas formellement, elle ne laisse pas de leur être favorable. Comme c’est alors une vertu, et même la vertu par excellence, que de ne pas tenir à l’existence, on loue celui qui y renonce à la moindre sollicitation des circonstances ou même par simple bravade. Une prime sociale est ainsi attachée au suicide qui est par, cela même encouragé, et le refus de cette récompense a, quoiqu’à un moindre degré, les mêmes effets qu’un châtiment proprement dit. Ce qu’on fait dans un cas pour échapper à une flétrissure, on le fait dans l’autre pour conquérir plus d’estime. Quand on est habitué dès l’enfance à ne pas faire cas de la vie et à mépriser ceux qui y tiennent avec excès, il est inévitable qu’on s’en défasse pour le plus léger prétexte. On se décide sans peine à un sacrifice qui coûte si peu. Ces pratiques se rattachent donc, tout comme le suicide obligatoire, à ce qu’il y a de plus fondamental dans la morale des sociétés inférieures. Parce qu’elles ne peuvent se maintenir que si l’individu n’a pas d’intérêts propres, il faut qu’il soit dressé au renoncement et à une abnégation sans partage; de là viennent ces suicides, en partie spontanés. Tout comme ceux que la société prescrit plus explicitement, ils sont dus à cet état d’impersonnalité ou, comme nous avons dit, d’altruisme, qui peut être regardé comme la caractéristique morale du primitif. C’est pourquoi nous leur donnerons également le nom d’altruistes, et si, pour mieux mettre en relief ce qu’ils ont de spécial, on doit ajouter qu’ils sont facultatif, il faut simplement entendre par ce mot qu’ils sont moins expressément exigés par la société que quand ils sont strictement obligatoires. Ces deux variétés sont même si étroitement parentes qu’il est impossible de marquer le point où l’une commence et où l’autre finit.

Il est, enfin, d’autres cas où l'altruisme entraîne au suicide plus directement et avec plus de violence. Dans les exemples