Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/252

Cette page n’a pas encore été corrigée

V- ’^

LE SUICIDE. 

attribuer. Alors se constituent des morales nouvelles qui, éri- geant le fait en droit, recommandent le suicide ou, tout au moins y acheminent, en recommandant de vivre le moins possible. Au moment où elles se produisent, il semble qu^elles aient été inventées de toutes pièces par leurs auteurs et on s’en prend parfois à ces derniers du découragement qu’ils prêchent. En réalité, elles sont un effet plutôt qu’une cause; elles ne font que symboliser, en un langage abstrait et sous une forme systéma- tique, la misère physiologique du corps social (*). Et comme ces courants sont collectifs, ils ont, par suite de cette origine, une autorité qui fait qu ils s’imposent à l’individu et le poussent avec plus de force encore dans le sens où l’incline déjà l’état de désemparemcnt moral qu’a suscité directement en lui la désin- tégration de la société. Ainsi, au moment même où il s’affranchit avec excès du milieu social, il en subit encore rinfluencefji individualisé que chacun soit, il y a toujours quelque chose qui reste collectif, c’est la dépression et la mélancolie qui résultent de cette individuation exagérée. On communie dans la tristesse, quand on n’a plus rien d’autre à mettre ep commun/ Ce ty^e de suicide mérite donc bien le nom que nous lui avons donné. IL’ égoïsme n’en est pas un facteur simplement auxiliaire; c’en est la cause génératrice. Si, dans ce cas, le lien qui rattache riiomme à la vie se relâche, c’est que le lien qui le rattache à la société s’est lui-même détendu) Quant aux incidents de l’exis- tence privée, qui paraissent inspirer immédiatement le suicide et qui passent pour eti être les conditions déterminantes, ce ne sont en réalité que des causes occasionnelles. Si l’individu cède au moindre choc des circonstances, c’est que l’état où se trouve la société en a fait une proie toute prête pour le suicide. Plusieurs faits confirment cette explication. Nous savons que le suicide est exceptionnel chez l’enfant et qu’il diminue chez le vieillard parvenu aux dernières limites de la vie; c’est que, chez l’un et chez l’autre, l’homme physique tend à redevenir (1) Et voilà pourquoi il est injuste d’accuser ces théoriciens de la tristesse de généraliser des impressions personnelles. Ils sont Técho d^an état généiaL