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relativement indemnes de suicides. Plus généralement, parmi les départements où il y a plus de 10 0/0 d’époux ne sachant ni lire ni écrire, il n’en est pas un seul qui appartienne à cette région du Nord-Est qui est la terre classique des suicides français. [1]

Si l’on compare les pays protestants entre eux, on retrouve le même parallélisme. On se tue plus en Saxe qu’en Prusse ; la Prusse a plus d’illettrés que la Saxe (5,52 0/0 au lieu de 1,3 en 1865). La Saxe présente même cette particularité que la population des écoles y est supérieure au chiffre légalement obligatoire. Pour 1.000 enfants en âge scolaire, on en comptait, en 1877-78, 1.031 qui fréquentaient les classes : c’est-à-dire que beaucoup continuaient leurs études après le temps prescrit. Le fait ne se rencontre dans aucun autre pays[2]. Enfin, de tous les pays protestants, l’Angleterre est, nous le savons, celui où l’on se tue le moins ; c’est aussi celui qui, pour l’instruction, se rapproche le plus des pays catholiques. En 1865, il y avait encore 23 0/0 des soldats de l’armée de mer qui ne savaient pas lire et 27 0/0 qui ne savaient pas écrire.

D’autres faits peuvent encore être rapprochés des précédents et servir à les confirmer.

Les professions libérales et, plus généralement les classes aisées sont certainement celles où le goût de la science est le plus vivement ressenti et où l’on vit le plus d’une vie intellectuelle. Or, quoique la statistique du suicide par professions et par classes ne puisse pas être toujours établie avec une suffisante précision, il est incontestable qu’il est exceptionnellement fréquent dans les classes les plus élevées de la société. En France, de 1826 à 1880, ce sont les professions libérales qui tiennent la tête ; elles fournissent 550 suicides par million de sujets du même groupe professionnel, tandis que les domestiques, qui viennent immédiatement après, n’en ont que 290[3]. En Italie, Morselli a pu isoler

  1. V. Annuaire statistique de la France, 1892-94, p. 50 et 51.
  2. Œttingen, Moraltatistik, p. 586.
  3. Compte général de la justice criminelle de 1882, p. CXV.