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flexion ne se développe que si elle est nécessitée à se développer, c’est-à-dire si un certain nombre d’idées et de sentiments irréfléchis qui, jusque-là, suffisaient à diriger la conduite, se trouvent avoir perdu leur efficacité. Alors, elle intervient pour combler le vide qui s’est fait, mais qu’elle n’a pas fait. De même qu’elle s’éteint à mesure que la pensée et l’action se prennent sous forme d’habitudes automatiques, elle ne se réveille qu’à mesure que les habitudes toutes faites se désorganisent. Elle ne revendique ses droits contre l’opinion commune que si celle-ci n’a plus la même force, c’est-à-dire si elle n’est plus au même degré commune. Si donc ces revendications ne se produisent pas seulement pendant un temps et sous forme de crise passagère, si elles deviennent chroniques, si les consciences individuelles affirment d’une manière constante leur autonomie, c’est qu’elles continuent à être tiraillées dans des sens divergents, c’est qu’une nouvelle opinion ne s’est pas reformée pour remplacer celle qui n’est plus; Si un nouveau système de croyances s’était reconstitué, qui parût à tout le monde aussi indiscutable que l’ancien, on ne songerait pas davantage à le discuter. Il ne serait même pas permis de le mettre en discussion ; car des idées que partage toute une société tirent de cet assentiment une autorité qui les rend sacro-saintes et les met au-dessus de toute contestation. Pour qu’elles soient plus tolérantes, il faut qu’elles soient déjà devenues l’objet d’une adhésion moins générale et moins complète, qu’elles aient été affaiblies par des controverses préalables.

Ainsi, s’il est vrai de dire que le libre examen, une fois qu’il est proclamé, multiplie les schismes, il faut ajouter qu’il les suppose et qu’il en dérive, car il n’est réclamé et institué comme un principe que pour permettre à des schismes latents ou à demi déclarés de se développer plus librement. Par conséquent, si le protestantisme fait à la pensée individuelle une plus grande part que le catholicisme, c’est qu’il compte moins de croyances et de pratiques communes. Or, une société religieuse n’existe pas sans un credo collectif et elle est d’autant plus une et d’autant plus forte que ce credo est plus étendu. Car elle n’unit pas les hommes