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s’affirmer, de ne rien sentir au-dessus de soi, l’impatience de tout ce qui est limite et dépendance, en un mot, la volonté de puissance. Pour s’expliquer à elle-même la poussée d’énergie qu’elle sentait en elle et qui repoussait impérieusement tout obstacle et toute gêne, l’Allemagne s’est forgé un mythe qui est allé de plus en plus en se développant, en se compliquant et en se systématisant. Pour justifier son besoin d’être souveraine, elle s’est naturellement attribué toutes les supériorités ; puis, pour rendre intelligible cette supériorité universelle, elle lui a cherché des causes dans la race, dans l’histoire, dans la légende. Ainsi est née cette mythologie pangermaniste, aux formes variées, tantôt poétiques et tantôt savantes, qui fait de l’Allemagne la plus haute incarnation terrestre de la puissance divine. Mais ces conceptions, parfois délirantes, ne se sont pas constituées d’elles-mêmes, on ne sait comment ni pourquoi : elles ne font que traduire un fait d’ordre vital. Voilà pourquoi nous avons pu dire que, malgré son allure abstraite, la notion de l’État, qui est à la base de la doctrine de Treitschke, recouvre un sentiment concret et vivant : ce qui en est l’âme, c’est une certaine attitude de la volonté. Sans doute, le mythe, à mesure qu’il s’est formé, est venu confirmer et renforcer la tendance qui l’avait suscité ; mais si l’on veut le comprendre, il ne faut pas s’arrêter à la lettre des formules qui l’expriment. Il faut atteindre l’état même qui en est la cause.

Cet état consiste en une hypertrophie morbide de la volonté, en une sorte de manie du vouloir. La volonté normale et saine, si énergique qu’elle puisse être, sait accepter les dépendances nécessaires qui sont fondées dans la nature des choses. L’homme fait partie d’un milieu physique qui le soutient, mais qui le limite aussi et dont il dépend. Il se soumet donc aux lois de ce milieu ; ne pouvant faire qu’elles soient autres qu’elles ne sont, il leur obéit, alors même qu’il les fait