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diaire de ses effets sociaux. Si tant de moralistes et de psychologues ont pu traiter la question sans suivre cette méthode, c’est qu’ils ont tourné la difficulté. Ils ont éliminé du phénomène tout ce qu’il a de plus spécialement social pour n’en retenir que le germe psychologique dont il est le développement. Il est certain en effet que la solidarité, tout en étant un fait social au premier chef, dépend de notre organisme individuel. Pour qu’elle puisse exister, il faut que notre constitution physique et psychique la comporte. On peut donc à la rigueur se contenter de l’étudier sous cet aspect. Mais, dans ce cas, on n’en voit que la partie la plus indistincte et la moins spéciale ; ce n’est même pas elle à proprement parler, mais plutôt ce qui la rend possible.

Encore cette étude abstraite ne saurait-elle être bien féconde en résultats. Car, tant qu’elle reste à l’état de simple prédisposition de notre nature psychique, la solidarité est quelque chose de trop indéfini pour qu’on puisse aisément l’atteindre. C’est une virtualité intangible qui n’offre pas prise à l’observation. Pour qu’elle prenne une forme saisissable, il faut que quelques conséquences sociales la traduisent au dehors. De plus, même dans cet état d’indétermination, elle dépend de conditions sociales qui l’expliquent et dont par conséquent elle ne peut être détachée. C’est pourquoi il est bien rare qu’à ces analyses de pure psychologie quelques vues sociologiques ne se trouvent mêlées. Par exemple, on dit quelques mots de l’influence de l’état grégaire sur la formation du sentiment social en général[1] ; ou bien on indique rapidement les principales relations sociales dont la sociabilité dépend de la manière la plus apparente[2]. Sans doute, ces considérations complémentaires, introduites sans méthode, à titre d’exemples et suivant les hasards de la suggestion, ne sauraient suffire pour élucider beaucoup la nature sociale de la solidarité. Elles démontrent du moins que le point de vue sociologique s’impose même aux psychologues.

  1. Bain, Émotions et volonté, p. 117 et suiv.
  2. Spencer, Principes de psychologie, 8e partie, ch. V.