Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/86

Cette page a été validée par deux contributeurs.

complément naturel : elle devient donc partie intégrante et permanente de notre conscience, à tel point que nous ne pouvons plus nous en passer et que nous recherchons tout ce qui en peut accroître l’énergie. C’est pourquoi nous aimons la société de celui qu’elle représente, parce que la présence de l’objet qu’elle exprime, en la faisant passer à l’état de perception actuelle, lui donne plus de relief. Au contraire, nous souffrons de toutes les circonstances qui, comme l’éloignement ou la mort, peuvent avoir pour effet d’en empêcher le retour ou d’en diminuer la vivacité.

Si courte que soit cette analyse, elle suffit à montrer que ce mécanisme n’est pas identique à celui qui sert de base aux sentiments de sympathie dont la ressemblance est la source. Sans doute il ne peut jamais y avoir de solidarité entre autrui et nous que si l’image d’autrui s’unit à la nôtre. Mais quand l’union résulte de la ressemblance des deux images, elle consiste dans une agglutination. Les deux représentations deviennent solidaires parce qu’étant indistinctes totalement ou en partie elles se confondent et n’en font plus qu’une, et elles ne sont solidaires que dans la mesure où elles se confondent. Au contraire, dans le cas de la division du travail, elles sont en dehors l’une de l’autre et elles ne sont liées que parce qu’elles sont distinctes. Les sentiments ne sauraient donc être les mêmes dans les deux cas ni les relations sociales qui en dérivent.

Nous sommes ainsi conduits à nous demander si la division du travail ne jouerait pas le même rôle dans des groupes plus étendus ; si, dans les sociétés contemporaines où elle a pris le développement que nous savons, elle n’aurait pas pour fonction d’intégrer le corps social, d’en assurer l’unité. Il est très légitime de supposer que les faits que nous venons d’observer se reproduisent ici, mais avec plus d’ampleur ; que ces grandes sociétés politiques ne peuvent, elles aussi, se maintenir en équilibre que grâce à la spécialisation des tâches ; que la division du travail y est la source, sinon unique, du moins principale de la solidarité sociale. C’est déjà à ce point de vue que s’était placé Comte. De