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affectives et l’autre les fonctions intellectuelles. À voir dans certaines classes les femmes s’occuper d’art et de littérature comme les hommes, on pourrait croire, il est vrai, que les occupations des deux sexes tendent à redevenir homogènes. Mais, même dans cette sphère d’action, la femme apporte sa nature propre, et son rôle reste très spécial, très différent de celui de l’homme. De plus, si l’art et les lettres commencent à devenir choses féminines, l’autre sexe semble les délaisser pour se donner plus spécialement à la science. Il pourrait donc très bien se faire que ce retour apparent à l’homogénéité primitive ne fût autre chose que le commencement d’une différenciation nouvelle. D’ailleurs, ces différences fonctionnelles sont rendues matériellement sensibles par les différences morphologiques qu’elles ont déterminées. Non seulement la taille, le poids, les formes générales sont très dissemblables chez l’homme et chez la femme, mais le Dr Lebon a démontré, nous l’avons vu, qu’avec le progrès de la civilisation le cerveau des deux sexes se différencie de plus en plus. Suivant cet observateur, cet écart progressif serait dû à la fois au développement considérable des crânes masculins et à un stationnement ou même à une régression des crânes féminins. « Alors, dit-il, que la moyenne des crânes parisiens masculins les range parmi les plus gros crânes connus, la moyenne des crânes parisiens féminins les range parmi les plus petits crânes observés, bien au-dessous du crâne des Chinoises et à peine au-dessus du crâne des femmes de la Nouvelle-Calédonie[1]. »

Dans tous ces exemples, le plus remarquable effet de la division du travail n’est pas qu’elle augmente le rendement des fonctions divisées, mais qu’elle les rend solidaires. Son rôle dans tous ces cas n’est pas simplement d’embellir ou d’améliorer des sociétés existantes, mais de rendre possibles des sociétés qui sans elle

  1. Op. cit., 154.