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qu’ils se recherchent avec passion. Toutefois, comme dans le cas précédent, ce n’est pas un contraste pur et simple qui fait éclore ces sentiments réciproques : seules, des différences qui se supposent et se complètent peuvent avoir cette vertu. En effet, l’homme et la femme isolés l’un de l’autre ne sont que des parties différentes d’un même tout concret qu’ils reforment en s’unissant. En d’autres termes, c’est la division du travail sexuel qui est la source de la solidarité conjugale, et voilà pourquoi les psychologues ont très justement remarqué que la séparation des sexes avait été un événement capital dans l’évolution des sentiments ; c’est qu’elle a rendu possible le plus fort peut-être de tous les penchants désintéressés.

Il y a plus. La division du travail sexuel est susceptible de plus ou de moins ; elle peut ou ne porter que sur les organes sexuels et quelques caractères secondaires qui en dépendent, ou bien au contraire s’étendre à toutes les fonctions organiques et sociales. Or, on peut voir dans l’histoire qu’elle s’est exactement développée dans le même sens et de la même manière que la solidarité conjugale.

Plus nous remontons dans le passé, plus elle se réduit à peu de chose. La femme de ces temps reculés n’était pas du tout la faible créature qu’elle est devenue avec les progrès de la moralité. Des ossements préhistoriques témoignent que la différence entre la force de l’homme et celle de la femme était relativement beaucoup plus petite qu’elle n’est aujourd’hui[1]. Maintenant encore, dans l’enfance et jusqu’à la puberté, le squelette des deux sexes ne diffère pas d’une façon appréciable : les traits en sont surtout féminins. Si l’on admet que le développement de l’individu reproduit en raccourci celui de l’espèce, on a le droit de conjecturer que la même homogénéité se retrouvait aux débuts de l’évolution humaine, et de voir dans la forme féminine comme une image approchée de ce qu’était originellement ce

  1. Topinard, Anthropologie, p. 149.