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que, mais par la loi. Il n’est pas, d’ailleurs, impossible d’entrevoir d’où vient ce privilège spécial à la science. C’est que la science n’est autre chose que la conscience portée à son plus haut point de clarté. Or, pour que les sociétés puissent vivre dans les conditions d’existence qui leur sont maintenant faites, il faut que le champ de la conscience tant individuelle que sociale s’étende et s’éclaire. En effet, comme les milieux dans lesquels elles vivent deviennent de plus en plus complexes et, par conséquent, de plus en plus mobiles, pour durer, il faut qu’elles changent souvent. D’autre part, plus une conscience est obscure, plus elle est réfractaire au changement, parce qu’elle ne voit pas assez vite qu’il est nécessaire de changer ni dans quel sens il faut changer : au contraire, une conscience éclairée sait préparer par avance la manière de s’y adapter. Voilà pourquoi il est nécessaire que l’intelligence guidée par la science prenne une part plus grande dans le cours de la vie collective.

Seulement, la science que tout le monde est ainsi requis de posséder ne mérite guère d’être appelée de ce nom. Ce n’est pas la science, c’en est tout au plus la partie commune et la plus générale. Elle se réduit, en effet, à un petit nombre de connaissances indispensables qui ne sont exigées de tous que parce qu’elles sont à la portée de tous. La science proprement dite dépasse infiniment ce niveau vulgaire. Elle ne comprend pas seulement ce qu’il est honteux d’ignorer, mais tout ce qu’il est possible de savoir. Elle ne suppose pas seulement chez ceux qui la cultivent ces facultés moyennes que possèdent tous les hommes, mais des dispositions spéciales. Par suite, n’étant accessible qu’à une élite, elle n’est pas obligatoire ; c’est une chose utile et belle, mais elle n’est pas à ce point nécessaire que la société la réclame impérativement. Il est avantageux d’en être muni ; il n’y a rien d’immoral à ne pas l’acquérir. C’est un champ d’action qui est ouvert à l’initiative de tous, mais où nul n’est contraint d’entrer. On n’est pas plus tenu d’être un savant que d’être un