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ce serait supposer que la division du travail existe en vue des résultats que nous allons déterminer. Celui de résultats ou d’effets ne saurait davantage nous satisfaire, parce qu’il n’éveille aucune idée de correspondance. Au contraire, le mot de rôle ou de fonction a le grand avantage d’impliquer cette idée, mais sans rien préjuger sur la question de savoir comment cette correspondance s’est établie, si elle résulte d’une adaptation intentionnelle et préconçue ou d’un ajustement après coup. Or, ce qui nous importe, c’est de savoir si elle existe et en quoi elle consiste, non si elle a été pressentie par avance ni même si elle a été sentie ultérieurement.

I

Rien ne paraît facile au premier abord comme de déterminer le rôle de la division du travail. Ses effets ne sont-ils pas connus de tout le monde ? Parce qu’elle augmente à la fois la force productive et l’habileté du travailleur, elle est la condition nécessaire du développement intellectuel et matériel des sociétés : elle est la source de la civilisation. D’autre part, comme on prête assez volontiers à la civilisation une valeur absolue, on ne songe même pas à chercher une autre fonction à la division du travail.

Qu’elle ait réellement ce résultat, c’est ce qu’on ne peut songer à discuter. Mais si elle n’en avait pas d’autre et ne servait pas à autre chose, on n’aurait aucune raison pour lui attribuer un caractère moral.

En effet, les services qu’elle rend ainsi sont presque complètement étrangers à la vie morale, ou du moins n’ont avec elle que des relations très indirectes et très lointaines. Quoiqu’il soit assez d’usage aujourd’hui de répondre aux diatribes de Rousseau par des dithyrambes en sens inverse, il n’est pas du tout prouvé que la civilisation soit une chose morale. Pour trancher la ques-