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IV

Cependant notre définition est encore défectueuse. En effet, la conscience morale des sociétés est sujette à se tromper. Elle peut attacher le signe extérieur de la moralité à des règles de conduite qui ne sont pas par elles-mêmes morales et, au contraire, laisser sans sanctions des règles qui devraient être sanctionnées. Il nous faut donc compléter notre critère, afin que nous ne soyons pas exposés à prendre pour moraux des faits qui ne le sont pas, ou bien au contraire à exclure de la morale de faits qui par leur nature sont moraux.

La question ne diffère pas essentiellement de celle que se pose le biologiste, quand il cherche à séparer le domaine de la physiologie normale de celui de la physiologie pathologique ; car c’est un fait de pathologie morale qu’une règle présente indûment le caractère de l’obligation ou en soit indûment privée. Nous n’avons donc qu’à imiter la méthode que suivent en pareil cas les naturalistes. Ils disent d’un phénomène biologique qu’il est normal pour une espèce déterminée quand il se produit dans la moyenne des individus de cette espèce, quand il fait partie du type moyen ; est pathologique au contraire tout ce qui est en dehors de la moyenne, soit en dessus, soit en dessous. D’ailleurs, par type moyen, il ne faut pas entendre un être individuel dont tous les caractères sont définis, quantitativement et qualitativement, avec une précision mathématique. Ils n’ont au contraire rien d’absolu ni de fixe, mais comportent toujours des variations qui sont comprises entre certaines limites, et c’est seulement en deçà et au delà de ces limites que commence le domaine de la pathologie. Si par exemple, pour une société donnée, on relève la taille de tous les individus et si l’on dispose en colonnes les mesures ainsi obtenues en commençant par les plus élevées, on constate que les chiffres les plus nombreux et