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miner. On réserve en effet généralement ce nom à celles qui ne peuvent être violées sans que l’auteur de l’infraction encoure de la part de l’opinion publique un blâme qui peut aller de la flétrissure infamante jusqu’à la simple désapprobation, en passant par toutes les nuances du mépris. Ce blâme constitue une répression ; car c’est une douleur imposée à l’agent et dont la perspective peut parfois suffire à le détourner de l’acte réprouvé. On l’a souvent distinguée de celle qu’appliquent les tribunaux en disant qu’elle est toute morale. Mais la distinction n’est pas exacte ; car toute peine morale prend nécessairement une forme matérielle. Pour que le blâme soit efficace, il faut qu’il se traduise au dehors par des mouvements dans l’espace ; par exemple, le coupable sera exclu de la société où il est habitué à vivre, on le tiendra à distance. Or cet exil n’est pas d’une autre nature que celui que prononcent les tribunaux réguliers. D’ailleurs, il y a et il y a toujours eu des peines légales qui sont purement morales ; telles sont celles qui consistent dans la privation de certains droits comme l’infamie des Romains, l’atimie des Grecs, la dégradation civique, etc. La différence qui sépare ces deux sortes de peines ne tient donc pas à leurs caractères intrinsèques, mais à la manière dont elles sont administrées. L’une est appliquée par chacun et par tout le monde, l’autre par des corps définis et constitués ; l’une est diffuse, l’autre est organisée. La première peut d’ailleurs être doublée d’une autre ; le blâme de l’opinion publique peut être accompagné d’une peine légale proprement dite. Mais toute règle de conduite à laquelle est attachée une sanction répressive diffuse, que celle-ci soit seule ou non, est morale, au sens ordinaire du mot.

Cette définition suffit à prouver que la science positive de la morale est une branche de la sociologie ; car toute sanction est chose sociale au premier chef. Les devoirs que comprend cette partie de l’éthique que l’on appelle la morale individuelle sont