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qu’il faut, c’est faire cesser cette anomie, c’est trouver les moyens de faire concourir harmoniquement ces organes qui se heurtent encore en des mouvements discordants, c’est introduire dans leurs rapports plus de justice en atténuant de plus en plus ces inégalités extérieures qui sont la source du mal. Notre malaise n’est donc pas, comme on semble parfois le croire, d’ordre intellectuel ; il tient à des causes plus profondes. Nous ne souffrons pas parce que nous ne savons plus sur quelle notion théorique appuyer la morale que nous pratiquions jusqu’ici ; mais parce que, dans certaines de ses parties, cette morale est irrémédiablement ébranlée et que celle qui nous est nécessaire est seulement en train de se former. Notre anxiété ne vient pas de ce que la critique des savants a ruiné l’explication traditionnelle qu’on nous donnait de nos devoirs et, par conséquent, ce n’est pas un nouveau système philosophique qui pourra jamais la dissiper ; mais c’est que, certains de ces devoirs n’étant plus fondés dans la réalité des choses, il en est résulté un relâchement qui ne pourra prendre fin qu’à mesure qu’une discipline nouvelle s’établira et se consolidera. En un mot, notre premier devoir actuellement est de nous faire une morale. Une telle œuvre ne saurait s’improviser dans le silence du cabinet ; elle ne peut s’élever que d’elle-même, peu à peu, sous la pression des causes internes qui la rendent nécessaire. Mais ce à quoi la réflexion peut et doit servir, c’est à marquer le but qu’il faut atteindre. C’est ce que nous avons essayé de faire.