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nité humaine ne peut se réaliser que dans la mesure où la division du travail progresse. Il faut choisir : ou renoncer à notre rêve, si nous nous refusons à circonscrire davantage notre activité, ou bien en poursuivre l’accomplissement, mais à la condition que nous venons de marquer.


III

Mais si la division du travail produit la solidarité, ce n’est pas seulement parce qu’elle fait de chaque individu un échangiste, comme disent les économistes[1] ; c’est qu’elle crée entre les hommes tout un système de droits et de devoirs qui les lient les uns aux autres d’une manière durable. De même que les similitudes sociales donnent naissance à un droit et à une morale qui les protègent, la division du travail donne naissance à des règles qui assurent le concours pacifique et régulier des fonctions divisées. Si les économistes ont cru qu’elle engendrait une solidarité suffisante, de quelque manière qu’elle se fit, et si, par suite, ils ont soutenu que les sociétés humaines pouvaient et devaient se résoudre en des associations purement économiques, c’est qu’ils ont cru qu’elle n’affectait que des intérêts individuels et temporaires. Par conséquent, pour estimer les intérêts en conflit et la manière dont ils doivent s’équilibrer, c’est-à-dire pour déterminer les conditions dans lesquelles l’échange doit se faire, les individus seuls sont compétents ; et comme ces intérêts sont dans un perpétuel devenir, il n’y a place pour aucune réglementation permanente. Mais une telle conception est de tous points inadéquate aux faits. La division du travail ne met pas en présence des individus, mais des fonctions sociales. Or, la société est intéressée au jeu de ces dernières : suivant qu’elles concourent

  1. Le mot est de M. de Molinari, La Morale économique, p. 248.