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que cette faculté s’exerce sur des fins et des mobiles qui soient propres à l’agent. En d’autres termes, il faut que les matériaux mêmes de sa conscience aient un caractère personnel. Or, nous avons vu dans le second livre de cet ouvrage que ce résultat se produit progressivement à mesure que la division du travail progresse elle-même. L’effacement du type segmentaire, en même temps qu’il nécessite une plus grande spécialisation, dégage partiellement la conscience individuelle du milieu organique qui la supporte comme du milieu social qui l’enveloppe et, par suite de cette double émancipation, l’individu devient davantage un facteur indépendant de sa propre conduite. La division du travail contribue elle-même à cet affranchissement ; car les natures individuelles, en se spécialisant, deviennent plus complexes et, par cela même, sont soustraites en partie à l’action collective et aux influences héréditaires qui ne peuvent guère s’exercer que sur les choses simples et générales.

C’est donc par suite d’une véritable illusion que l’on a pu croire parfois que la personnalité était plus entière tant que la division du travail n’y avait pas pénétré. Sans doute, à voir du dehors la diversité d’occupations qu’embrasse alors l’individu, il peut sembler qu’il se développe d’une manière plus libre et plus complète. Mais, en réalité, cette activité qu’il manifeste n’est pas sienne. C’est la société, c’est la race qui agissent en lui et par lui ; il n’est que l’intermédiaire par lequel elles se réalisent. Sa liberté n’est qu’apparente et sa personnalité d’emprunt. Parce que la vie de ces sociétés est, à certains égards, moins régulière, on s’imagine que les talents originaux peuvent plus aisément se faire jour, qu’il est plus facile à chacun de suivre ses goûts propres, qu’une plus large place est laissée à la libre fantaisie. Mais c’est oublier que les sentiments personnels sont alors très rares. Si les mobiles qui gouvernent la conduite ne reviennent pas avec la même périodicité qu’aujourd’hui, ils ne laissent pas d’être collectifs, par conséquent impersonnels, et il en est de même des actions qu’ils inspirent. D’autre part, nous