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un éloignement toujours plus prononcé pour le dilettante et même pour ces hommes qui, trop épris d’une culture exclusivement générale, refusent de se laisser prendre tout entiers dans les mailles de l’organisation professionnelle. C’est qu’en effet ils ne tiennent pas assez à la société ou, si l’on veut, la société ne les tient pas assez ; ils lui échappent, et, précisément parce qu’ils ne la sentent ni avec la vivacité, ni avec la continuité qu’il faudrait, ils n’ont pas conscience de toutes les obligations que leur impose leur condition d’êtres sociaux. L’idéal général auquel ils sont attachés étant, pour les raisons que nous avons dites, formel et flottant, ne peut pas les tirer beaucoup hors d’eux-mêmes. On ne tient pas à grand’chose quand on n’a pas d’objectif plus déterminé et, par conséquent, on ne peut guère s’élever au-dessus d’un égoïsme plus ou moins raffiné. Celui, au contraire, qui s’est donné à une tâche définie est, à chaque instant, rappelé au sentiment de la solidarité commune par les mille devoirs de la morale professionnelle[1].


ii

Mais est-ce que la division du travail, en faisant de chacun de nous un être incomplet, n’entraîne pas une diminution de la personnalité individuelle ? C’est un reproche qu’on lui a souvent adressé.

  1. Parmi les conséquences pratiques que l’on pourrait déduire de la proposition que nous venons d’établir, il en est une qui intéresse la pédagogie. On raisonne toujours en matière d’éducation comme si la base morale de l’homme était faite de généralités. Nous venons de voir qu’il n’en est rien. L’homme est destiné à remplir une fonction spéciale dans l’organisme social et, par conséquent, il faut qu’il apprenne par avance à jouer son rôle d’organe ; car une éducation est nécessaire pour cela, tout aussi bien que pour lui apprendre son rôle d’homme, comme on dit. Nous ne voulons ; pas dire d’ailleurs qu’il faille élever l’enfant pour tel ou tel métier prématurément, mais il faut lui faire aimer les tâches circonscrites et les horizons définis. Or, ce goût est bien différent de celui des choses générales et ne peut pas être éveillé par les mêmes moyens.