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telle ou telle espèce sociale. Mais, en réalité, cette conscience humaine que nous devons réaliser intégralement en nous n’est autre chose que la conscience collective du groupe dont nous faisons partie. Car de quoi peut-elle être composée, sinon des idées et des sentiments auxquels nous sommes le plus attachés ? Où irions-nous chercher les traits de notre modèle si ce n’est en nous et autour de nous ? Si nous croyons que cet idéal collectif est celui de l’humanité tout entière, c’est qu’il est devenu assez abstrait et général pour paraître convenir à tous les hommes indistinctement. Mais, en fait, chaque peuple se fait de ce type soi-disant humain une conception particulière qui tient à son tempérament personnel. Chacun se le représente à son image. Même le moraliste qui croit pouvoir, par la force de la pensée, se soustraire à l’influence des idées ambiantes, ne saurait y parvenir ; car il en est tout imprégné et, quoi qu’il fasse, c’est elles qu’il retrouve dans la suite de ses déductions. C’est pourquoi chaque nation a son école de philosophie morale en rapport avec son caractère.

D’autre part, nous avons montré que cette règle avait pour fonction de prévenir tout ébranlement de la conscience commune et, par conséquent, de la solidarité sociale, et qu’elle ne peut s’acquitter de ce rôle qu’à condition d’avoir un caractère moral. Il est impossible que les offenses aux sentiments collectifs les plus fondamentaux soient tolérées sans que la société se désintègre ; mais il faut qu’elles soient combattues à l’aide de cette réaction particulièrement énergique qui est attachée aux règles morales.

Or, la règle contraire, qui nous ordonne de nous spécialiser, a exactement la même fonction. Elle aussi est nécessaire à la cohésion des sociétés, du moins à partir d’un certain moment de leur évolution. Sans doute, la solidarité qu’elle assure diffère de la précédente ; mais si elle est autre, elle n’est pas moins indispensable. Les sociétés supérieures ne peuvent se maintenir en équilibre que si le travail y est divisé ; l’attraction du sem-