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nement des diverses denrées dont ils veulent se dessaisir. Le pêcheur a eu une chance favorable et a pêché une grande quantité de poissons ; mais le hasard a permis au chasseur de se procurer du poisson et, en ce moment, il n’a besoin que de fruits, et le pêcheur n’en possède pas. La différence étant, ainsi que nous le savons, indispensable pour l’association, l’absence de cette condition offrirait ici un obstacle à l’association, difficile à surmonter.

Cependant, avec le temps, la richesse et la population se développent et, avec ce développement, il se manifeste, un accroissement dans le mouvement de la société ; dès lors, le mari échange des services contre ceux de sa femme, les parents contre ceux de leurs enfants, et les enfants échangent des services réciproques ; l’un fournit le poisson, l’autre la viande, un troisième du blé, tandis qu’un quatrième transforme la laine en drap. À chaque pas, nous constatons un accroissement dans la rapidité du mouvement, en même temps qu’un accroissement de force de la part de l’homme[1]. »

D’ailleurs, en fait, on peut observer que le travail devient plus continu à mesure qu’il se divise davantage. Les animaux, les sauvages travaillent de la manière la plus capricieuse, quand ils sont poussés par la nécessité de satisfaire quelque besoin immédiat. Dans les sociétés exclusivement agricoles et pastorales, le travail est presque tout entier suspendu pendant la mauvaise saison. À Rome, il était interrompu par une multitude de fêtes ou de jours néfastes[2]. Au moyen âge, les chômages sont encore multipliés[3]. Cependant, à mesure que l’on avance, le travail devient une occupation permanente, une habitude et même, si cette habitude est suffisamment consolidée, un besoin. Mais elle n’aurait pu se constituer, et le besoin correspondant n’aurait pu

  1. Science sociale, trad. franç., I, 229-231.
  2. V. Marquardt, Roem Staatsverwaltung, III, 545 et suiv.
  3. V. Levasseur, Les Classes ouvrières en France jusqu’à la Révolution, I, 474 et 475.