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morale comme de la contagion physique : elle ne se manifeste bien que sur des terrains prédisposés. Pour que des besoins se répandent d’une classe dans une autre, il faut que les différences qui primitivement séparaient ces classes aient disparu ou diminué. Il faut que, par un effet des changements qui se sont produits dans la société, les uns soient devenus aptes à des fonctions qui les dépassaient au premier abord, tandis que les autres perdaient de leur supériorité originelle. Quand les plébéiens se mirent à disputer aux patriciens l’honneur des fonctions religieuses et administratives, ce n’était pas seulement pour imiter ces derniers, mais c’est qu’ils étaient devenus plus intelligents, plus riches, plus nombreux et que leurs goûts et leurs ambitions s’étaient modifiés en conséquence. Par suite de ces transformations, l’accord se trouve rompu dans toute une région de la société entre les aptitudes des individus et le genre d’activité qui leur est assigné ; la contrainte seule, plus ou moins violente et plus ou moins directe, les lie à leurs fonctions ; par conséquent, il n’y a de possible qu’une solidarité imparfaite et troublée.

Ce résultat n’est donc pas une conséquence nécessaire de la division du travail. Il ne se produit que dans des circonstances toutes particulières, à savoir quand elle est l’effet d’une contrainte extérieure. Il en va tout autrement quand elle s’établit en vertu de spontanéités purement internes, sans que rien ne vienne gêner les initiatives des individus. À cette condition, en effet, l’harmonie entre les natures individuelles et les fonctions sociales ne peut manquer de se produire, du moins dans la moyenne des cas. Car, si rien n’entrave ou ne favorise indûment les concurrents qui se disputent les tâches, il est inévitable que ceux-là seuls qui sont le plus aptes à chaque genre d’activité y parviennent. La seule cause qui détermine alors la manière dont le travail se divise est la diversité des capacités. Par la force des choses, le partage se fait donc dans le sens des aptitudes puisqu’il n’y a pas de raison pour qu’il se fasse autrement. Ainsi se réalise de soi-même l’harmonie entre la constitution de chaque