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donc la morale de la cité ou celle de la tribu sont si différentes de la nôtre par certains points, ce n’est pas que ces sociétés se soient trompées sur la destinée de l’homme ; mais c’est que leur destinée, telle qu’elle était déterminée par les conditions où elles se trouvaient placées, n’en comportait pas d’autre. Ainsi, les règles morales ne sont morales que par rapport à certaines conditions expérimentales et, par conséquent, on ne saurait rien comprendre à la nature des phénomènes moraux, si l’on ne détermine avec le plus grand soin ces conditions dont ils dépendent. Il est possible qu’il y ait une morale éternelle, écrite dans quelque esprit transcendant, ou bien immanente aux choses et dont les morales historiques ne sont que des approximations successives : c’est une hypothèse métaphysique que nous n’avons pas à discuter. Mais, en tout cas, cette morale est relative à un certain étal de l’humanité et, tant que cet état n’est pas réalisé, non seulement elle ne saurait être obligatoire pour les consciences saines, mais encore il peut se faire qu’il soit de notre devoir de la combattre.

Cette science des faits moraux est donc très laborieuse et très complexe. On comprend maintenant pourquoi les tentatives des moralistes, en vue de déterminer le principe de la morale, devaient nécessairement échouer. C’est qu’une telle question ne saurait être abordée au début de la science ; on ne peut la résoudre qu’au fur et à mesure que la science avance.

III

Mais alors, comment reconnaître les faits qui sont l’objet de cette science, c’est-à-dire les faits moraux ? — À quelque signe extérieur et visible et non d’après une formule qui essaie d’en exprimer l’essence. C’est ainsi que le biologiste reconnaît un fait biologique à certains caractères apparents et sans qu’il ait besoin pour cela de se faire une notion philosophique du phénomène.