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rellement une organisation nouvelle ; mais comme ces transformations se sont accomplies avec une extrême rapidité, les intérêts en conflits n’ont pas encore eu le temps de s’équilibrer[1].

Enfin, ce qui explique que les sciences morales et sociales sont dans l’état que nous avons dit, c’est qu’elles ont été les dernières à entrer dans le cercle des sciences positives. Ce n’est guère en effet que depuis un siècle que ce nouveau champ de phénomènes s’est ouvert à l’investigation scientifique. Les savants s’y sont installés, les uns ici, les autres là, suivant leurs goûts naturels. Dispersés sur cette vaste surface, ils sont restés jusqu’à présent trop éloignés les uns des autres pour sentir tous les liens qui les unissent. Mais, par cela seul qu’ils pousseront leurs recherches toujours plus loin de leurs points de départ, ils finiront nécessairement par s’atteindre et, par conséquent, par prendre conscience de leur solidarité. L’unité de la science se formera ainsi d’elle-même ; non pas l’unité abstraite d’une formule, d’ailleurs trop exiguë pour la multitude des choses qu’elle devrait embrasser, mais l’unité vivante d’un tout organique. Pour que la science soit une, il n’est pas nécessaire qu’elle tienne tout entière dans le champ de regard d’une seule et même conscience, — ce qui d’ailleurs est impossible, — mais il suffit que tous ceux qui la cultivent sentent qu’ils collaborent à une même œuvre.


Ce qui précède ôte tout fondement à un des plus graves reproches qu’on ait faits à la division du travail.

On l’a souvent accusée de diminuer l’individu en le réduisant au rôle de machine. Et en effet, s’il ne sait pas où tendent ces

  1. Rappelons toutefois que, comme on le verra au chapitre suivant, cet antagonisme n’est pas dû tout entier à la rapidité de ces transformations, mais, en bonne partie, à l’inégalité encore trop grande des conditions extérieures de la lutte. Sur ce facteur le temps n’a pas d’action.