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réalise est tout interne. Elle coordonne les démarches des savants qui cultivent une même science, non leurs relations avec le dehors. Il n’y a guère de disciplines qui concertent les efforts de sciences différentes en vue d’une fin commune. C’est surtout vrai des sciences morales et sociales ; car les sciences mathématiques, physico-chimiques et même biologiques ne semblent pas être à ce point étrangères les unes aux autres. Mais le juriste, le psychologue, l’anthropologiste, l’économiste, le statisticien, le linguiste, l’historien procèdent à leurs investigations comme si les divers ordres de faits qu’ils étudient formaient autant de mondes indépendants. Cependant, en réalité, ils se pénètrent de toutes parts ; par conséquent, il en devrait être de même des sciences correspondantes. Voilà d’où vient l’anarchie que l’on a signalée, non sans exagération d’ailleurs, dans la science en général, mais qui est surtout vraie de ces sciences déterminées. Elles offrent en effet le spectacle d’un agrégat de parties disjointes qui ne concourent pas entre elles. Si donc elles forment un ensemble sans unité, ce n’est pas parce qu’elles n’ont pas un sentiment suffisant de leurs ressemblances ; c’est qu’elles ne sont pas organisées.

Ces divers exemples sont donc des variétés d’une même espèce ; dans tous ces cas, si la division du travail ne produit pas la solidarité, c’est que les relations des organes ne sont pas réglementées ; c’est qu’elles sont dans un état d’anomie.


Mais d’où vient cet état ?

Puisque un corps de règles est la forme définie que prennent avec le temps les rapports qui s’établissent spontanément entre les fonctions sociales, on peut dire a priori que l’état d’anomie est impossible partout où les organes solidaires sont en contact suffisant et suffisamment prolongé. En effet, étant contigus, ils sont aisément avertis en chaque circonstance du besoin qu’ils ont les uns des autres et ont par conséquent un sentiment vif et continu de leur mutuelle dépendance. Comme, pour la même