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de la division du travail ; elles en sont comme le prolongement. Assurément, si elle ne rapprochait que des individus qui s’unissent pour quelques instants en vue d’échanger des services personnels, elle ne pourrait donner naissance à aucune action régulatrice. Mais ce qu’elle met en présence, ce sont des fonctions, c’est-à-dire des manières d’agir définies, qui se répètent identiques à elles-mêmes dans des circonstances données, puisqu’elles tiennent aux conditions générales et constantes de la vie sociale. Les rapports qui se nouent entre ces fonctions ne peuvent donc manquer de parvenir au même degré de fixité et de régularité. Il y a certaines manières de réagir les unes sur les autres qui, se trouvant plus conformes à la nature des choses, se répètent plus souvent et deviennent des habitudes ; puis les habitudes, à mesure qu’elles prennent de la force, se transforment en règles de conduite. Le passé prédétermine l’avenir. Autrement dit, il y a un certain départ des droits et des devoirs que l’usage établit et qui finit par devenir obligatoire. La règle ne crée donc pas l’état de dépendance mutuelle où sont les organes solidaires, mais ne fait que l’exprimer d’une manière sensible et définie, en fonction d’une situation donnée. De même le système nerveux, bien loin de dominer l’évolution de l’organisme, comme on l’a cru autrefois, en résulte[1]. Les filets nerveux ne sont vraisemblablement que les lignes de passage qu’ont suivies les ondes de mouvements et d’excitations échangées entre les divers organes ; ce sont des canaux que la vie s’est creusés à elle-même en coulant toujours dans le même sens, et les ganglions ne seraient que le lieu d’intersection de plusieurs de ces lignes[2]. C’est pour avoir méconnu cet aspect du phénomène que certains moralistes ont accusé la division du travail de ne pas produire de solidarité véritable. Ils n’y ont vu que des échanges particuliers, combinaisons éphémères, sans passé comme sans lendemain, où l’individu est abandonné à lui-même ;

  1. V. Perrier, Colonies animales, p. 746.
  2. Spencer, Principes de biologie, II, 438 et suiv.