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mais c’est que toutes les conditions d’existence de la première ne sont pas réalisées.

Nous savons en effet que, partout où on l’observe, on rencontre en même temps une réglementation suffisamment développée qui détermine les rapports mutuels des fonctions[1]. Pour que la solidarité organique existe, il ne suffit pas qu’il y ait un système d’organes nécessaires les uns aux autres et qui sentent d’une façon générale leur solidarité, mais il faut encore que la manière dont ils doivent concourir, sinon dans toute espèce de rencontres, du moins dans les circonstances les plus fréquentes, soit prédéterminée. Autrement, il faudrait à chaque instant de nouvelles luttes pour qu’ils pussent s’équilibrer, car les conditions de cet équilibre ne peuvent être trouvées qu’à l’aide de tâtonnements au cours desquels chaque partie traite l’autre en adversaire au moins autant qu’en auxiliaire. Ces conflits se renouvelleraient donc sans cesse, et, par conséquent, la solidarité ne serait guère que virtuelle, si les obligations mutuelles devaient être tout entières débattues à nouveau dans chaque cas particulier. On dira qu’il y a les contrats. Mais, d’abord, toutes les relations sociales ne sont pas susceptibles de prendre cette forme juridique. Nous savons d’ailleurs que le contrat ne se suffit pas à lui-même, mais suppose une réglementation qui s’étend et se complique comme la vie contractuelle elle-même. De plus, les liens qui ont cette origine sont toujours de courte durée. Le contrat n’est qu’une trêve et assez précaire ; il ne suspend que pour un temps les hostilités. Sans doute, si précise que soit une réglementation, elle laissera toujours une place libre pour bien des tiraillements. Mais il n’est ni nécessaire ni même possible que la vie sociale soit sans luttes. Le rôle de la solidarité n’est pas de supprimer la concurrence, mais de la modérer.

D’ailleurs, à l’état normal, ces règles se dégagent d’elles-mêmes

  1. Voir liv. i, ch. VII.