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même ces vues d’ensemble s’appliqueraient exactement à la réalité, la partie qu’elles en expliquent est trop peu de chose à côté de ce qu’elles laissent inexpliqué. Ce n’est donc pas par ce moyen qu’on pourra jamais arracher les sciences positives à leur isolement. Il y a un trop grand écart entre les recherches de détail qui les alimentent et de telles synthèses. Le lien qui rattache l’un à l’autre ces deux ordres de connaissances est trop mince et trop lâche, et, par conséquent, si les sciences particulières ne peuvent prendre conscience de leur mutuelle dépendance qu’au sein d’une philosophie qui les embrasse, le sentiment qu’elles en auront sera toujours trop vague pour être efficace.

La philosophie est comme la conscience collective de la science, et, ici comme ailleurs, le rôle de la conscience collective diminue à mesure que le travail se divise.


III


Quoique A. Comte ait reconnu que la division du travail est une source de solidarité, il semble n’avoir pas aperçu que cette solidarité est sui generis et se substitue peu à peu à celle qu’engendrent les similitudes sociales. C’est pourquoi, remarquant que celles-ci sont très effacées là où les fonctions sont très spécialisées, il a vu dans cet effacement un phénomène morbide, une menace pour la cohésion sociale, due à l’excès de la spécialisation, et il a expliqué par là les faits d’incoordination qui accompagnent parfois le développement de la division du travail. Mais puisque nous avons établi que l’affaiblissement de la conscience collective est un phénomène normal, nous ne saurions en faire la cause des phénomènes anormaux que nous sommes en train d’étudier. Si, dans certains cas, la solidarité organique n’est pas tout ce qu’elle doit être, ce n’est certainement pas parce que la solidarité mécanique a perdu du terrain,