Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/429

Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme il est impossible de les dégager complètement du corps des vérités établies pour les codifier à part, on ne peut les connaître que si on les a soi-même pratiquées. Or, il est dès maintenant impossible à un même homme de pratiquer un grand nombre de sciences. Ces grandes généralisations ne peuvent donc reposer que sur une vue assez sommaire des choses. Si, de plus, on songe avec quelle lenteur et quelles patientes précautions les savants procèdent d’ordinaire à la découverte de leurs vérités même les plus particulières, on s’explique que ces disciplines improvisées n’aient plus sur eux qu’une bien faible autorité.

Mais quelle que soit la valeur de ces généralités philosophiques, la science n’y saurait trouver l’unité dont elle a besoin. Elles expriment bien ce qu’il y a de commun entre les sciences, les lois, les méthodes particulières, mais, à côté des ressemblances, il y a les différences qui restent à intégrer. On dit souvent que le général contient en puissance les faits particuliers qu’il résume ; mais l’expression est inexacte. Il contient seulement ce qu’ils ont de commun. Or, il n’est pas dans le monde deux phénomènes qui se ressemblent, si simples soient-ils. C’est pourquoi toute proposition générale laisse échapper une partie de la matière qu’elle essaie de maîtriser. Il est impossible de fondre les caractères concrets et les propriétés distinctives des choses au sein d’une même formule impersonnelle et homogène. Seulement, tant que les ressemblances dépassent les différences, elles suffisent à intégrer les représentations ainsi rapprochées ; les dissonances de détail disparaissent au sein de l’harmonie totale. Au contraire, à mesure que les différences deviennent plus nombreuses, la cohésion devient plus instable et a besoin d’être consolidée par d’autres moyens. Qu’on se représente la multiplicité croissante des sciences spéciales, avec leurs théorèmes, leurs lois, leurs axiomes, leurs conjectures, leurs procédés et leurs méthodes, et on comprendra qu’une formule courte et simple, comme la loi d’évolution par exemple, ne peut suffire à intégrer une aussi prodigieuse complexité de phénomènes. Quand