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envers la masse, il en est naturellement détourné par le propre essor de son activité spéciale qui le rappelle constamment à son intérêt privé dont il n’aperçoit que très vaguement la vraie relation avec l’intérêt public… C’est ainsi que le même principe qui a seul permis le développement et l’extension de la société générale menace, sous un autre aspect, de la décomposer en une multitude de corporations incohérentes qui semblent presque ne point appartenir à la même espèce[1]. » M. Espinas s’exprime à peu près dans les mêmes termes : « Division, dit-il, c’est dispersion[2]. »

La division du travail exercerait donc, en vertu de sa nature même, une influence dissolvante qui serait surtout sensible là où les fonctions sont très spécialisées. Comte, cependant, ne conclut pas de son principe qu’il faille ramener les sociétés à ce qu’il appelle lui-même l’âge de la généralité, c’est-à-dire à cet état d’indistinction et d’homogénéité qui fut leur point de départ. La diversité des fonctions est utile et nécessaire ; mais, comme l’unité qui n’est pas moins indispensable n’en sort pas spontanément, le soin de la réaliser et de la maintenir devra constituer dans l’organisme social une fonction spéciale, représentée par un organe indépendant. Cet organe, c’est l’État ou le gouvernement. « La destination sociale du gouvernement, dit Comte, me parait surtout consister à contenir suffisamment et à prévenir autant que possible cette fatale disposition à la dispersion fondamentale des idées, des sentiments et des intérêts, résultat inévitable du principe même du développement humain, et qui, si elle pouvait suivre sans obstacle son cours naturel, finirait inévitablement par arrêter la progression sociale sous tous les rapports importants. Cette conception constitue à mes yeux la première base positive et rationnelle de la théorie élémentaire et abstraite du gouvernement proprement dit, envisagé dans sa plus noble et plus entière extension scientifique, c’est-à-

  1. Cours, IV, 429.
  2. Sociétés animales, Conclusion, IV.