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fiés. La déduction, à elle seule, ne constitue pas une démonstration suffisante. Pourquoi en serait-il autrement du moraliste ? Les règles qu’il établit de la manière que nous avons dite ne sont que des hypothèses tant qu’elles n’ont pas subi l’épreuve des faits. L’expérience seule peut décider si c’est bien celles qui conviennent à l’homme.

Mais, ce qui est plus grave encore, c’est que toutes ces opérations logiques reposent sur un simple postulat. Elles supposent, en effet, que l’unique raison d’être de la morale est d’assurer le développement de l’homme ; or il n’y a aucune preuve que tel soit en effet son rôle. Qui nous dit qu’elle ne sert pas à des fins exclusivement sociales auxquelles l’individu est tenu de se subordonner ? — Alors, dira-t-on, nous déduirons notre formule du concept de la société ! — Mais, outre que cette proposition elle-même n’est pas démontrée, encore faudrait-il savoir quelles sont ces fins. Il ne sert de rien de dire qu’elle a pour objet de sauvegarder les grands intérêts sociaux ; nous avons vu que cette expression de la moralité était à la fois trop lâche et trop étroite. En un mot, à supposer même que la méthode déductive fût applicable à ce problème, pour pouvoir tirer la loi générale de la moralité d’une notion quelconque, il faudrait tout au moins savoir quelle est la fonction de la morale, et, pour cela, le seul moyen est d’observer les faits moraux, c’est-à-dire cette multitude de règles particulières qui gouvernent effectivement la conduite. Il faudrait donc commencer par instituer toute une science qui, après avoir classé les phénomènes moraux, rechercherait les conditions dont dépend chacun des types ainsi formés et en déterminerait le rôle, c’est-à-dire une science positive de la morale qui ne serait une application ni de la sociologie ni de la psychologie, mais une science purement spéculative et autonome, quoique, comme nous le verrons plus loin, elle appartienne au cycle des sciences sociales[1].

  1. Nous nous permettons de renvoyer à nos articles sur la Science positive de la Morale in Revue philosophique, juillet, août, septembre 1887.