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plus fréquents, au moins dans certains cas. De 1845 à 1869, les faillites ont augmenté en France de 70%[1]. Cependant on ne saurait attribuer ce fait à l’accroissement de la vie économique ; car les entreprises se sont beaucoup plutôt concentrées qu’elles ne se sont multipliées.

L’antagonisme du travail et du capital est un autre exemple, plus frappant, du même phénomène. À mesure que les fonctions industrielles se spécialisent davantage, la lutte devient plus vive, bien loin que la solidarité augmente. Au moyen âge, l’ouvrier vit partout à côté de son maître, partageant ses travaux « dans la même boutique, sur le même établi »[2]. Tous deux faisaient partie de la même corporation et menaient la même existence. « L’un et l’autre étaient presque égaux : quiconque avait fait son apprentissage pouvait, du moins dans beaucoup de métiers, s’établir s’il avait de quoi[3]. » Aussi les conflits étaient-ils tout à fait exceptionnels. À partir du xve siècle les choses commencèrent à changer. « Le corps de métier n’est plus un asile commun ; c’est la possession exclusive des maîtres qui y décident seuls de toutes choses… Dès lors, une démarcation profonde s’établit entre les maîtres et les compagnons. Ceux-ci formèrent pour ainsi dire un ordre à part ; ils eurent leurs habitudes, leurs règles, leurs associations indépendantes[4]. » Une fois que cette séparation fut effectuée, les querelles devinrent nombreuses « Dès que les compagnons croyaient avoir à se plaindre, ils se mettaient en grève ou frappaient d’interdit une ville, un patron et tous étaient tenus d’obéir au mot d’ordre… La puissance de l’association donnait aux ouvriers le moyen de lutter à armes égales contre leurs patrons[5]. » Cependant les choses étaient loin d’en être venues dès lors « au point où nous les voyons à présent. Les compagnons se rebellaient pour obtenir un salaire plus

  1. V. Block, Statistique de la France.
  2. Levasseur, Les Classes ouvrières en France jusqu’à la révolution, II, 315.
  3. Ibid., I, 496.
  4. Ibid.
  5. Ibid., I, 504.