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vie psychique qui soit vraiment développée est celle qui est commune à tous les membres du groupe, qui se retrouve identique chez chacun. Mais à mesure que les sociétés deviennent plus vastes et surtout plus condensées, une vie psychique d’un genre nouveau apparaît. Les diversités individuelles, d’abord perdues et confondues dans la masse des similitudes sociales, s’en dégagent, prennent du relief et se multiplient. Une multitude de choses qui restaient en dehors des consciences parce qu’elles n’affectaient pas l’être collectif, deviennent objets de représentations. Tandis que les individus n’agissaient qu’entraînés les uns par les autres, sauf les cas où leur conduite était déterminée par des besoins physiques, chacun d’eux devient une source d’activité spontanée. Les personnalités particulières se constituent, prennent conscience d’elles-mêmes, et cependant cet accroissement de la vie psychique de l’individu n’affaiblit pas celle de la société, mais ne fait que la transformer. Elle devient plus libre, plus étendue, et, comme en définitive elle n’a pas d’autres substrats que les consciences individuelles, celles-ci s’étendent, se compliquent et s’assouplissent par contre-coup.

Ainsi, la cause qui a suscité les différences qui séparent l’homme des animaux est aussi celle qui l’a contraint à s’élever au-dessus de lui-même. La distance toujours plus grande qu’il y a entre le sauvage et le civilisé ne vient pas d’une autre source. Si de la sensibilité confuse de l’origine la faculté d’idéation s’est peu à peu dégagée ; si l’homme a appris à former des concepts et à formuler des lois ; si son esprit a embrassé des portions de plus en plus étendues de l’espace et du temps ; si, non content de retenir le passé, il a de plus en plus empiété sur l’avenir ; si ses émotions et ses tendances, d’abord simples et peu nombreuses, se sont multipliées et diversifiées, c’est parce que le milieu social a changé sans interruption. En effet, à moins que ces transformations ne soient nées de rien, elles ne peuvent avoir eu pour causes que des transformations correspondantes des milieux ambiants. Or, l’homme ne dépend que de trois sortes de milieux :