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moral doit avoir un attrait qui stimule le désir. Mais, si l’inspiration varie, la méthode est partout la même. Tous font abstraction de la réalité existante, ou, si quelques-uns tentent après coup quelque effort pour la retrouver, ce contrôle tardif ne se fait jamais que d’une manière très expéditive. On passe en revue rapidement les devoirs les plus généraux ; mais on ne sort pas des généralités, et d’ailleurs il s’agit beaucoup moins de procéder à une vérification en règle que d’illustrer par quelques exemples la proposition abstraite que l’on a commencé par établir[1].

Il est donc impossible qu’avec une telle méthode on aboutisse à une conclusion vraiment objective. Tout d’abord, ce concept de l’homme qui sert de base à toutes ces déductions, ne saurait être le produit d’une élaboration scientifique, méthodiquement conduite ; car la science n’est pas en état de nous renseigner sur ce point avec précision. Nous commençons à connaître quelques-uns des éléments dont est composé l’homme, mais il en est beaucoup que nous ignorons et nous n’avons de l’ensemble qu’ils forment qu’une notion très confuse. Il y a donc tout lieu de craindre que le moraliste ne la détermine au gré de ses croyances et de ses aspirations personnelles. De plus, quand même elle serait parfaitement exacte, les conclusions qu’on en tire par voie de déduction ne peuvent, en tout cas, être que conjecturales. Quand un ingénieur déduit de principes théoriques, même incontestés, des conséquences pratiques, il ne peut être certain des résultats de son raisonnement que quand l’expérience les a véri-

  1. À notre connaissance, M. Janet est le seul moraliste français qui ait placé la morale que l’on appelle si improprement pratique avant celle qu’on nomme théorique. Cette innovation est, croyons-nous, importante. Mais pour qu’elle pût produire tous ses fruits, il serait nécessaire que cette étude des devoirs ne se réduisit pas à une analyse purement descriptive et d’ailleurs très générale. Il faudrait que chacun d’eux fût constitué dans toute sa complexité, qu’on déterminât les éléments qu’il comprend, les conditions dont dépend son développement, son rôle, soit par rapport à l’individu, soit par rapport à la société, etc. C’est seulement de ces recherches particulières que pourraient peu à peu se dégager des vues d’ensemble et une généralisation philosophique.