Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/406

Cette page a été validée par deux contributeurs.

petit nombre de circonstances externes qui soient de nature à le solliciter, et, par conséquent, il pourra se mettre en mesure de répondre à toutes ces sollicitations, c’est-à-dire réaliser un état d’équilibre irréprochable, à très peu de frais. Si, au contraire, il est très complexe, les conditions de l’adaptation seront plus nombreuses et plus compliquées, mais l’adaptation elle-même ne sera pas plus entière pour cela. Parce que beaucoup d’excitants agissent sur nous qui laissaient insensible le système nerveux trop grossier des hommes d’autrefois, nous sommes tenus, pour nous y ajuster, à un développement plus considérable. Mais le produit de ce développement, à savoir l’ajustement qui en résulte, n’est pas plus parfait dans un cas que dans l’autre ; il est seulement différent parce que les organismes qui s’ajustent sont eux-mêmes différents. Le sauvage dont l’épiderme ne sent pas fortement les variations de la température, y est aussi bien adapté que le civilisé qui s’en défend à l’aide de ses vêtements.

Si donc l’homme ne dépend pas d’un milieu variable, on ne voit pas quelle raison il aurait eue de varier ; aussi la société est-elle, non pas la condition secondaire, mais le facteur déterminant du progrès. Elle est une réalité qui n’est pas plus notre œuvre que le monde extérieur et à laquelle, par conséquent, nous devons nous plier pour pouvoir vivre ; et c’est parce qu’elle change que nous devons changer. Pour que le progrès s’arrêtât, il faudrait donc qu’à un moment le milieu social parvînt à un état stationnaire, et nous venons d’établir qu’une telle hypothèse est contraire à toutes les présomptions de la science.

Ainsi, non seulement une théorie mécaniste du progrès ne nous prive pas d’idéal, mais elle nous permet de croire que nous n’en manquerons jamais. Précisément parce que l’idéal dépend du milieu social qui est essentiellement mobile, il se déplace sans cesse. Il n’y a donc pas lieu de craindre que jamais le terrain ne nous manque, que notre activité arrive au terme de sa carrière et voie l’horizon se fermer devant elle. Mais, quoique nous ne poursuivions jamais que des fins définies et