Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/404

Cette page a été validée par deux contributeurs.

se produisent ainsi ont pour effet de concentrer davantage les unités sociales dans certaines régions, et par conséquent d’y déterminer des progrès nouveaux qui s’irradient peu à peu des foyers où ils sont nés sur le reste du pays. D’autre part, ces changements en entraînent d’autres dans les voies de communication, qui en provoquent d’autres à leur tour, sans qu’il soit possible de dire où s’arrêtent ces répercussions. En fait, bien loin que les sociétés, à mesure qu’elles se développent, se rapprochent d’un état stationnaire, elles deviennent au contraire plus mobiles et plus plastiques.

Si, néanmoins, M. Spencer a pu admettre que l’évolution sociale a une limite qui ne saurait être dépassée[1], c’est que, suivant lui, le progrès n’a d’autre raison d’être que d’adapter l’individu au milieu cosmique qui l’entoure. Pour ce philosophe, la perfection consiste dans l’accroissement de la vie individuelle, c’est-à-dire dans une correspondance plus complète de l’organisme avec ses conditions physiques. Quant à la société, c’est un des moyens par lesquels s’établit cette correspondance plutôt que le terme d’une correspondance spéciale. Parce que l’individu n’est pas seul au monde, mais qu’il est environné de rivaux, qui lui disputent ses moyens d’existence, il a tout intérêt à établir entre ses semblables et lui des relations telles qu’ils le servent, au lieu de le gêner ; ainsi naît la société, et tout le progrès social consiste à améliorer ces rapports, de manière à leur faire produire plus complètement l’effet en vue duquel ils sont établis. Ainsi, malgré les analogies biologiques sur lesquelles il a si longuement insisté, M. Spencer ne voit pas dans les sociétés une réalité proprement dite, qui existe par soi-même et en vertu de causes spécifiques et nécessaires, qui, par conséquent, s’impose à l’homme avec sa nature propre et à laquelle il est tenu de s’adapter pour vivre, tout aussi bien qu’au milieu physique ; mais c’est un arrangement institué par les

  1. Premiers principes, p. 454 et suiv.