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Puisque le progrès est une conséquence des changements qui se font dans le milieu social, il n’y a aucune raison de supposer qu’il doive jamais finir. Pour qu’il pût avoir un terme, il faudrait que, à un moment donné, le milieu devint stationnaire. Or, une telle hypothèse est contraire aux inductions les plus légitimes. Tant qu’il y aura des sociétés distinctes, le nombre des unités sociales sera nécessairement variable dans chacune d’elles. À supposer même que le chiffre des naissances parvienne jamais à se maintenir à un niveau constant, il y aura toujours, d’un pays à l’autre, des mouvements de population, soit par suite de conquêtes violentes, soit par suite d’infiltrations lentes et silencieuses. En effet, il est impossible que les peuples les plus forts ne tendent pas à s’incorporer les plus faibles, comme les plus denses se déversent chez les moins denses ; c’est une loi mécanique de l’équilibre social non moins nécessaire que celle qui régit l’équilibre des liquides. Pour qu’il en fût autrement, il faudrait que toutes les sociétés humaines eussent la même énergie vitale et la même densité, ce qui est irreprésentable, ne serait-ce que par suite de la diversité des habitats.

Il est vrai que cette source de variations serait tarie si l’humanité tout entière formait une seule et même société. Mais, outre que nous ignorons si un tel idéal est réalisable, pour que le progrès s’arrêtât, il faudrait encore qu’à l’intérieur de cette société gigantesque les rapports entre les unités sociales fussent eux-mêmes soustraits à tout changement. Il faudrait qu’ils restassent toujours distribués de la même manière ; que non seulement l’agrégat total, mais encore chacun des agrégats élémentaires dont il serait formé conservât les mêmes dimensions. Mais une telle uniformité est impossible, par cela seul que ces groupes partiels n’ont pas tous la même étendue ni la même vitalité. La population ne peut pas être concentrée sur tous les points de la même manière, or, il est inévitable que les plus grands centres, ceux, où la vie est le plus intense, exercent sur les autres une attraction proportionnée à leur importance. Les migrations qui