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cures auxquelles sont liées des tendances. Pour que le besoin stimule la volonté, il n’est pas nécessaire qu’il soit éclairé par la science. Des tâtonnements obscurs suffisent pour apprendre aux hommes qu’il leur manque quelque chose, pour éveiller des aspirations et faire en même temps sentir dans quel sens ils doivent tourner leurs efforts.

Ainsi, une conception mécaniste de la société n’exclut pas l’idéal, et c’est à tort qu’on lui reproche de réduire l’homme à n’être qu’un témoin inactif de sa propre histoire. Qu’est-ce en effet qu’un idéal, sinon une représentation anticipée d’un résultat désiré et dont la réalisation n’est possible que grâce à cette anticipation même ? De ce que tout se fait d’après des lois, il ne suit pas que nous n’ayons rien à faire. On trouvera peut-être mesquin un tel objectif parce qu’il ne s’agit en somme que de nous faire vivre en état de santé. Mais c’est oublier que, pour l’homme cultivé, la santé consiste à satisfaire régulièrement les besoins les plus élevés tout aussi bien que les autres ; car les premiers ne sont pas moins que les seconds enracinés dans sa nature. Il est vrai qu’un tel idéal est prochain, que les horizons qu’il nous ouvre n’ont rien d’illimité. En aucun cas il ne saurait consister à exalter sans mesure les forces de la société, mais seulement à les développer dans la limite marquée par l’état défini du milieu social. Tout excès est un mal comme toute insuffisance. Mais quel autre idéal peut-on se proposer ? Chercher à réaliser une civilisation supérieure à celle que réclame la nature des conditions ambiantes, c’est vouloir déchaîner la maladie dans la société même dont on fait partie ; car il n’est pas possible de surexciter l’activité collective au delà du degré déterminé par l’état de l’organisme social, sans en compromettre la santé. En fait, il y a à chaque époque un certain raffinement de civilisation dont le caractère maladif est attesté par l’inquiétude et le malaise qui l’accompagnent toujours. Or, la maladie n’a jamais rien de désirable.

Mais, si l’idéal est toujours défini, il n’est jamais définitif.