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Mais, tout en étant un effet de causes nécessaires, la civilisation peut devenir une fin, un objet de désir, en un mot un idéal. En effet, il y a pour une société, à chaque moment de son histoire, une certaine intensité de la vie collective qui est normale, étant donnés le nombre et la distribution des unités sociales. Assurément, si tout se passe normalement, cet état se réalisera de soi-même ; mais précisément on peut se proposer de faire en sorte que les choses se passent normalement. Si la santé est dans la nature, il en est de même de la maladie. La santé n’est même, dans les sociétés comme dans les organismes individuels, qu’un type idéal qui n’est nulle part réalisé tout entier. Chaque individu sain en a des traits plus ou moins nombreux ; mais nul ne les réunit tous. C’est donc une fin digne d’être poursuivie que de chercher à rapprocher autant que possible la société de ce degré de perfection.

D’autre part, la voie à suivre pour atteindre ce but peut être raccourcie. Si, au lieu de laisser les causes engendrer leurs effets au hasard et suivant les énergies qui les poussent, la réflexion intervient pour en diriger le cours, elle peut épargner aux hommes bien des essais douloureux. Le développement de l’individu ne reproduit celui de l’espèce que d’une manière abrégée ; il ne repasse pas par toutes les phases qu’elle a traversées, mais il en est qu’il omet et d’autres qu’il parcourt plus vite parce que les expériences faites par la race lui permettent d’accélérer les siennes. Or, la réflexion peut produire des résultats analogues ; car elle est également une utilisation de l’expérience antérieure en vue de faciliter l’expérience future. Par réflexion, d’ailleurs, il ne faut pas entendre exclusivement une connaissance scientifique du but et des moyens. La sociologie, dans son état actuel, n’est guère en état de nous guider efficacement dans la solution de ces problèmes pratiques. Mais, en dehors des représentations claires au milieu desquelles se meut le savant, il en est d’obs-