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réflexes qui sont inscrits non à l’intérieur de l’organisme, mais dans le droit et dans les mœurs : ce sont des phénomènes sociaux et non des phénomènes biologiques, ils ne déterminent pas l’activité du dedans, mais la sollicitent du dehors et par des moyens qui leur sont propres.

Il est évidemment impossible qu’on puisse jamais trouver la loi qui domine un monde aussi vaste et aussi varié, si l’on ne commence par l’observer dans toute son étendue. Est-ce ainsi que procèdent les moralistes ? Tout au contraire, ils croient pouvoir s’élever à cette loi supérieure d’un seul bond et sans intermédiaire. Ils commencent par raisonner comme si la morale était tout entière à créer, comme s’ils se trouvaient en présence d’une table rase sur laquelle ils peuvent à leur gré édifier leur système, comme s’il s’agissait de trouver, non une loi qui résume et qui explique un système de faits actuellement réalisés, mais le principe d’une législation morale à instituer de toutes pièces. À ce point de vue il n’y a pas à distinguer entre les écoles. L’argumentation des empiristes n’est ni moins hâtive ni moins sommaire que celle des rationalistes ; la maxime de l’utile n’a pas été obtenue plus que les autres à l’aide d’une méthode vraiment inductive. Mais le procédé des uns et des autres est le suivant : ils partent du concept de l’homme, en déduisent l’idéal qui leur paraît convenir à un être ainsi défini, puis ils font de l’obligation de réaliser cet idéal la règle suprême de la conduite, la loi morale. Les différences qui distinguent les doctrines viennent uniquement de ce que l’homme n’est pas partout conçu de la même manière. Ici on en fait une volonté pure, ailleurs on accorde plus ou moins de place à la sensibilité ; ceux-ci y voient un être autonome fait pour la solitude, ceux-là un être essentiellement social. Pour les uns il est fait de telle sorte qu’il ne peut vivre sans une loi qui le dépasse et le domine, qui s’impose à lui avec une autorité impérative. Les autres, au contraire, sont plus frappés de ce fait qu’il fait spontanément et sans contrainte tout ce qu’il fait naturellement ; ils en concluent que l’idéal