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pent, c’est par suite d’une nécessité qui s’impose aux hommes : c’est qu’il n’y a pas pour eux d’autre manière de vivre dans les conditions nouvelles où ils sont placés. Du moment que le nombre des individus entre lesquels des relations sociales sont établies est plus considérable, ils ne peuvent se maintenir que s’ils se spécialisent davantage, travaillent davantage, surexcitent leurs facultés ; et de cette stimulation générale résulte inévitablement un plus haut degré de culture. De ce point de vue, la civilisation apparaît donc, non comme un but qui meut les peuples par l’attrait qu’il exerce sur eux, non comme un bien, entrevu et désiré par avance, dont ils cherchent à s’assurer par tous les moyens la part la plus large possible, mais comme l’effet d’une cause, comme la résultante nécessaire d’un état donné. Ce n’est pas le pôle vers lequel s’oriente le développement historique et dont les hommes cherchent à se rapprocher pour être plus heureux ou meilleurs ; car ni le bonheur, ni la moralité ne s’accroissent nécessairement avec l’intensité de la vie. Ils marchent parce qu’il faut marcher, et ce qui détermine la vitesse de cette marche, c’est la pression plus ou moins forte qu’ils exercent les uns sur les autres, suivant qu’ils sont plus ou moins nombreux.

Ce n’est pas à dire que la civilisation ne serve à rien ; mais ce n’est pas les services qu’elle rend qui la font progresser. Elle se développe parce qu’elle ne peut pas ne pas se développer ; une fois qu’il est effectué, ce développement se trouve être généralement utile ou, tout au moins, il est utilisé ; il répond à des besoins qui se sont formés en même temps, parce qu’ils dépendent des mêmes causes. Mais c’est un ajustement après coup. Encore faut-il ajouter que les bienfaits qu’elle rend à ce titre ne sont pas un enrichissement positif, un accroissement de notre capital de bonheur, mais ne font que réparer les pertes qu’elle-même a causées. C’est parce que cette suractivité de la vie générale fatigue et affine notre système nerveux qu’il se trouve avoir besoin de réparations proportionnées à ses dépenses, c’est-à-dire de satis-