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les circonstances[1]. » Dire que l’influence de l’hérédité est plus générale, plus vague, moins impérieuse, c’est dire qu’elle est moindre. Elle n’emprisonne plus l’activité de l’animal dans un réseau rigide, mais lui laisse un jeu plus libre. Comme le dit encore M. Perrier, « chez l’animal, en même temps que l’intelligence s’accroît, les conditions de l’hérédité sont profondément modifiées. »

Quand des animaux on passe à l’homme, cette régression est encore plus marquée. « L’homme fait tout ce que font les animaux et davantage ; seulement il le fait en sachant ce qu’il fait et pourquoi il le fait ; cette seule conscience de ses actes semble le délivrer de tous les instincts qui le pousseraient nécessairement à accomplir ces mêmes actes[2]. » Il serait trop long d’énumérer tous les mouvements qui, instinctifs chez l’animal, ont cessé d’être héréditaires chez l’homme. Là même où l’instinct survit, il a moins de force, et la volonté peut plus facilement s’en rendre maîtresse.

Mais alors il n’y a aucune raison pour supposer que ce mouvement de recul qui se poursuit d’une manière ininterrompue des espèces animales inférieures aux espèces les plus élevées, et de celles-ci à l’homme, cesse brusquement à l’avènement de l’humanité. Est-ce que l’homme, du jour où il est entré dans l’histoire, était totalement affranchi de l’instinct ? Mais nous en sentons encore le joug aujourd’hui. Est-ce que les causes qui ont déterminé cet affranchissement progressif dont nous venons de voir la continuité auraient soudainement perdu leur énergie ? Mais il est évident qu’elles se confondent avec les causes mêmes qui déterminent le progrès général des espèces, et comme il ne s’arrête pas, elles ne peuvent davantage s’être arrêtées. Une telle hypothèse est contraire à toutes les analogies. Elle est même contraire à des faits bien établis. Il est en effet démontré

  1. Anatomie et Physiologie animale, 201. Cf. la préface de l’intelligence des animaux, de Romanes, p. xxiii.
  2. Guyau, Morale anglaise, 1e édit., 330.