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à bon droit invoquer l’influence de l’hérédité : mais nous possédons bien peu d’observations de ce genre qui aient été faites méthodiquement. On n’échappe pas à l’objection en faisant remarquer que les familles qui sont ainsi entraînées au mal sont parfois très nombreuses. Le nombre ne fait rien à l’affaire ; car le milieu domestique, qui est le même pour toute la famille quelle qu’en soit l’étendue, suffit à expliquer cette criminalité endémique.

La méthode suivie par M. Lombroso serait plus concluante si elle donnait les résultats que s’en promet l’auteur. Au lieu d’énumérer un certain nombre de cas particuliers, il constitue anatomiquement et physiologiquement le type du criminel. Comme les caractères anatomiques et physiologiques, et surtout les premiers, sont congénitaux, c’est-à-dire déterminés par l’hérédité, il suffira d’établir la proportion des délinquants qui présentent le type ainsi défini, pour mesurer exactement l’influence de l’hérédité sur cette activité spéciale.

On a vu que, suivant Lombroso, elle serait considérable. Mais le chiffre cité n’exprime que la fréquence relative du type criminel en général. Tout ce qu’on en peut conclure par conséquent, c’est que la propension au mal en général est assez souvent héréditaire ; mais on n’en peut rien déduire relativement aux formes particulières du crime et du délit. On sait d’ailleurs aujourd’hui que ce prétendu type criminel n’a en réalité rien de spécifique. Bien des traits qui le constituent se retrouvent ailleurs. Tout ce qu’on aperçoit, c’est qu’il ressemble à celui des dégénérés, des neurasthéniques[1]. Or, si ce fait est une preuve que, parmi les criminels, il y a beaucoup de neurasthéniques, il ne s’ensuit pas que la neurasthénie mène toujours et invinciblement au crime. Il y a au moins autant de dégénérés qui sont honnêtes, quand ils ne sont pas des hommes de talent ou de génie.

  1. V. Féré, Dégénérescence et Criminalité.