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d’un seul vocable ; le fils d’un grand voyageur peut, à l’école, être surpassé en géographie par le fils d’un mineur[1]. » Ce n’est pas à dire que l’hérédité soit sans influence, mais ce qu’elle transmet, ce sont des facultés très générales et non une aptitude particulière pour telle ou telle science. Ce que l’enfant reçoit de ses parents, c’est quelque force d’attention, une certaine dose de persévérance, un jugement sain, de l’imagination, etc. Mais chacune de ces facultés peut convenir à une foule de spécialités différentes et y assurer le succès. Voici un enfant doué d’une assez vive imagination ; il est de bonne heure en relations avec des artistes, il deviendra peintre ou poète ; s’il vit dans un milieu industriel, il deviendra un ingénieur à l’esprit inventif ; si le hasard le place dans le monde des affaires, il sera peut-être un jour un hardi financier. Bien entendu, il apportera partout avec lui sa nature propre, son besoin de créer et d’imaginer, sa passion du nouveau ; mais les carrières où il pourra utiliser ses talents et satisfaire à son penchant sont très nombreuses. C’est d’ailleurs ce que M. de Candolle a établi par une observation directe. Il a relevé les qualités utiles dans les sciences que son père tenait de son grand-père ; en voici la liste : volonté, esprit d’ordre, jugement sain, une certaine puissance d’attention, éloignement pour les abstractions métaphysiques, indépendance d’opinion. C’était assurément un bel héritage, mais avec lequel on aurait pu devenir également un administrateur, un homme d’État, un historien, un économiste, un grand industriel, un excellent médecin ou bien enfin un naturaliste, comme fut M. de Candolle. Il est donc évident que les circonstances eurent une large part dans le choix de sa carrière, et c’est en effet ce que son fils nous apprend[2]. Seuls, l’esprit mathématique et le sentiment musical pourraient bien être assez souvent des dispositions de naissance, dues à un héritage direct des parents. Cette apparente anomalie ne surprendra pas, si l’on se rappelle que

  1. Émotions et Volonté, 53.
  2. Op. cit., p. 318.