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peut bien débarrasser le terrain des êtres les plus défectueux et assurer ainsi le triomphe de ceux qui sont relativement le mieux doués. Mais elle se réduit à un simple procédé de triage ; par elle-même elle ne crée rien, n’ajoute rien. Elle peut bien retrancher de la morale les pratiques qui sont le plus nuisibles et qui créent pour les sociétés un état marqué d’infériorité ; mais elle ne peut pas faire que celles qui survivent soient toutes utiles si, originellement, elles ne l’étaient pas.

II

Il est vrai que cet examen ne saurait guère être complet. Les doctrines morales sont trop nombreuses pour qu’on puisse être certain de n’en omettre aucune. Mais la manière dont elles sont construites suffit pour nous assurer qu’elles ne peuvent être que des vues subjectives et plus ou moins approchées.

En effet, puisque la loi générale de la morale n’a de valeur scientifique que si elle peut rendre compte de la diversité de faits moraux, il faut commencer par étudier ces derniers pour arriver à la découvrir. Avant de savoir quelle est la formule qui les résume, il faudrait les avoir analysés, en avoir décrit les caractères, déterminé les fonctions, recherché les causes, et c’est seulement en comparant les résultats de toutes ces études spéciales que l’on pourra dégager les propriétés communes à toutes les règles morales, c’est-à-dire les caractères constitutifs de la moralité. Comment, alors que nous ne sommes pas fixés sur la nature des devoirs particuliers et des droits particuliers, pourrions-nous nous entendre sur la nature de leur principe ? Cette méthode s’impose alors même que la source de la morale consisterait dans quelque donnée a priori, comme on l’a tant de fois supposé. Car, si vraiment ce germe initial de la moralité existe, la peine que l’on a pour le définir, les manières très différentes dont on l’exprime prouvent assez qu’en tout cas il est bien