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lent tant de couleurs savamment nuancées recouvre un fond d’une déplorable monotonie. Il a assoupli et affiné les puissances de son être, mais il n’a pas su les transformer et les refondre pour en tirer une œuvre nouvelle et définie ; il n’a rien élevé de personnel et de durable sur le terrain que lui a légué la nature.

Par conséquent, plus les facultés sont spéciales, plus elles sont difficilement transmissibles ; ou, si elles parviennent à passer d’une génération à l’autre, elles ne peuvent manquer de perdre de leur force et de leur précision. Elles sont moins irrésistibles et plus malléables ; par suite de leur plus grande indétermination, elles peuvent plus facilement changer sous l’influence des circonstances de famille, de fortune, d’éducation, etc. En un mot, plus les formes de l’activité se spécialisent, plus elles échappent à l’action de l’hérédité.

On a cependant cité des cas où des aptitudes professionnelles paraissent être héréditaires. Des tableaux dressés par M. Galton il semble résulter qu’il y a eu parfois de véritables dynasties de savants, de poètes, de musiciens. M. de Candolle, de son côté, a établi que les fils de savants « se sont souvent occupés de science ) »[1]. Mais ces observations n’ont en l’espèce aucune valeur démonstrative. Nous ne songeons pas en effet à soutenir que la transmission d’aptitudes spéciales est radicalement impossible ; nous voulons dire seulement qu’en général elle n’a pas lieu, parce qu’elle ne peut s’effectuer que par un miracle d’équilibre qui ne saurait se renouveler souvent. Il ne sert donc à rien de citer tels ou tels cas particuliers où elle s’est produite ou paraît s’être produite ; mais il faudrait encore voir quelle part ils représentent dans l’ensemble des vocations scientifiques. C’est seulement alors que l’on pourrait juger s’ils démontrent vraiment que l’hérédité a une grande influence sur la façon dont se divisent les fonctions sociales.

  1. Histoire des sciences et des savants, 2e édit., p. 293.