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Une première preuve de ce stationnement de l’hérédité, c’est l’état stationnaire des grandes races humaines. Depuis les temps les plus reculés, il ne s’en est pas formé de nouvelles ; du moins si avec M. de Quatrefages[1], on donne ce nom même aux différents types qui sont issus des trois ou quatre grands types fondamentaux, il faut ajouter que, plus ils s’éloignent de leurs points d’origine, moins ils présentent les traits constitutifs de la race. En effet, tout le monde est d’accord pour reconnaître que ce qui caractérise cette dernière, c’est l’existence de ressemblances héréditaires ; aussi les anthropologistes prennent-ils pour base de leurs classifications des caractères physiques, parce qu’ils sont les plus héréditaires de tous. Or, plus les types anthropologiques sont circonscrits, plus il devient difficile de les définir en fonction de propriétés exclusivement organiques, parce que celles-ci ne sont plus ni assez nombreuses ni assez distinctives. Ce sont des ressemblances toutes morales, que l’on établit à l’aide de la linguistique, de l’archéologie, du droit comparé, qui deviennent prépondérantes ; mais on n’a aucune raison d’admettre qu’elles soient héréditaires. Elles servent à distinguer des civilisations plutôt que des races. À mesure qu’on avance, les variétés humaines qui se forment deviennent donc moins héréditaires ; elles sont de moins en moins des races. L’impuissance progressive de notre espèce à produire des races nouvelles fait même le plus vif contraste avec la fécondité contraire des espèces animales. Qu’est-ce que cela signifie, sinon que la culture humaine, à mesure qu’elle se développe, est de plus en plus réfractaire à ce genre de transmission ? Ce que les hommes ont ajouté et ajoutent tous les jours à ce fond primitif qui s’est fixé depuis des siècles dans la structure des races initiales, échappe donc de plus en plus à l’action de l’hérédité. Mais s’il en est ainsi du courant général de la civilisation, à plus forte raison en est-il de même de chacun des affluents

  1. V. L’Espèce humaine.