de chaque individu ; car elle ne devient pas plus forte alors qu’ils deviennent plus nombreux. Elle porte sur trop de points à la fois pour pouvoir se concentrer sur aucun. La surveillance se fait moins bien parce qu’il y a trop de gens et de choses à surveiller.
De plus, le grand ressort de l’attention, à savoir l’intérêt, fait plus ou moins complètement défaut. Nous ne désirons connaître les faits et gestes d’une personne que si son image réveille en nous des souvenirs et des émotions qui y sont liés, et ce désir est d’autant plus actif que les états de conscience ainsi réveillés sont plus nombreux et plus forts[1]. Si, au contraire, il s’agit de quelqu’un que nous n’apercevons que de loin en loin et en passant, ce qui le concerne, ne déterminant en nous aucun écho, nous laisse froids et par conséquent nous ne sommes incités ni à nous renseigner sur ce qui lui arrive, ni à observer ce qu’il fait. La curiosité collective est donc d’autant plus vive que les relations personnelles entre les individus sont plus continues et plus fréquentes ; d’autre part, il est clair qu’elles sont d’autant plus rares et plus courtes que chaque individu est en rapports avec un plus grand nombre d’autres.
Voilà pourquoi la pression de l’opinion se fait sentir avec moins de force dans les grands centres. C’est que l’attention de chacun est distraite dans trop de directions différentes et que, de plus, on se connaît moins. Même les voisins et les membres d’une même famille sont moins souvent et moins régulièrement en contact, séparés qu’ils sont à chaque instant par la masse des affaires et des personnes intercurrentes. Sans doute, si la population est plus nombreuse qu’elle n’est dense, il peut arriver que la vie, dispersée sur une plus grande étendue, soit moindre sur chaque point. La grande ville se résout alors en un certain
- ↑ Il est vrai que, dans une petite ville, l’étranger, l’inconnu n’est pas l’objet d’une moindre surveillance que l’habitant ; mais c’est que l’image qui le représente est rendue très vive par un effet de contraste, parce qu’il est l’exception. Il n’en est pas de même dans une grande ville, où il est la règle, tout le monde, pour ainsi dire, étant inconnu.