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toujours moins résistante, plus accessible aux changements ; en d’autres termes, l’autorité de la coutume diminue d’une manière continue. Il est d’ailleurs impossible qu’il en soit autrement, puisque cet affaiblissement dépend des conditions mêmes qui dominent le développement historique.

D’autre part, puisque les croyances et les pratiques communes tirent en grande partie leur force de la force de la tradition, il est évident qu’elles sont de moins en moins en état de gêner la libre expansion des variations individuelles.


III


Enfin, à mesure que la société s’étend et se concentre, elle enveloppe de moins près l’individu et par conséquent, peut moins bien contenir les tendances divergentes qui se font jour.

Il suffit pour s’en assurer de comparer les grandes villes aux petites. Chez ces dernières, quiconque cherche à s’émanciper des usages reçus se heurte à des résistances qui sont parfois très vives. Toute tentative d’indépendance est un objet de scandale public, et la réprobation générale qui s’y attache est de nature à décourager les imitateurs. Au contraire, dans les grandes cités, l’individu est beaucoup plus affranchi du joug collectif ; c’est un fait d’expérience qui ne peut être contesté. C’est que nous dépendons d’autant plus étroitement de l’opinion commune qu’elle surveille de plus prés toutes nos démarches. Quand l’attention de tous est constamment fixée sur ce que fait chacun, le moindre écart est aperçu et aussitôt réprimé ; inversement, chacun a d’autant plus de facilités pour suivre son sens propre qu’il est plus aisé d’échapper à ce contrôle. Or, comme dit un proverbe, on n’est nulle part aussi bien caché que dans une foule. Plus un groupe est étendu et dense, plus l’attention collective, dispersée sur une large surface, est incapable de suivre les mouvements